
Encore un roman de Joyce Carol Oates, me direz-vous ? La preuve s’il en est que la quantité en l’occurrence ne nuit en rien à la qualité.
Automne 2010, un homme de 67 ans, respecté, ancien maire de Hammond dans l’état de New-York, père de cinq enfants aperçoit sur le bord de la route deux policiers malmener un homme de couleur. Se sentant légitime pour intervenir, confiant dans sa personnalité d’homme blanc jouissant d’une certaine autorité, il tente de les raisonner. Les deux agents se déchainent alors sur lui, le clouant au sol sous les coups répétés de Taser. Il n’y survivra pas.
Dans ce roman dense, 924 pages au style dépouillé de toutes fioritures, l’auteur poursuit son questionnement autour des thèmes qui traversent l’ensemble de son œuvre. Le racisme qui continue de miner les États-Unis, mais aussi et surtout la dislocation d’une famille. Le père constituait le ciment, qui maintenait les briques familiales de ses cinq enfants et de son épouse devenue veuve. Sa disparition, en bouleversant chacun des protagonistes, va également les transformer en profondeur. Les anciens ressentiments internes à la fratrie vont violemment ressurgir.
Chacun des enfants s’était construit par rapport au père. Sa mort les déconstruit (pas vraiment dans le sens donné à ce terme par Sandrine Rousseau), rasant net les piliers sur lesquels reposait leur vie familiale et sentimentale.
Il est aussi question ici d’une veuve qui refuse de se laisser enfermer dans le rôle étriqué où certains de ses enfants voudraient la maintenir. Joyce Carol Oates avait déjà exploré la question du veuvage en publiant « J’ai réussi à rester en vie » à la suite de la disparition de son mari. Pour ma part, il s’agit d’une des meilleurs romans de Joyce Carol Oates dont je me demande encore ce qu’on attend pour lui décerner le prix Nobel de littérature